Genève, le 21 juin 1999. Lors d'un séminaire organisé au CERN1 le 18 juin, Pascal Debu, porte-parole de l'expérience NA48 2, au Laboratoire a annoncé les résultats préliminaires obtenus par celle-ci, après une analyse de 10% des données attendues, sur l'un des secrets les mieux gardés de la nature. Ce phénomène, appelé violation directe de CP, est un effet subtil qui trahit la préférence de la nature pour la matière par rapport à l'antimatière, préférence qui explique pourquoi nous existons.
Genève, le 21 juin 1999. Lors d'un séminaire organisé au CERN1 le 18 juin, Pascal Debu, porte-parole de l'expérience NA48 2, au Laboratoire a annoncé les résultats préliminaires obtenus par celle-ci, après une analyse de 10% des données attendues, sur l'un des secrets les mieux gardés de la nature. Ce phénomène, appelé violation directe de CP, est un effet subtil qui trahit la préférence de la nature pour la matière par rapport à l'antimatière, préférence qui explique pourquoi nous existons. En 1993, une expérience précédente au CERN, NA31, et l'expérience E731 au Laboratoire de l'accélérateur national Fermi aux Etats-Unis avaient publié les premiers résultats précis sur la violation directe de CP. Le résultat du CERN suggérait que la violation directe de CP était un effet réel. Le résultat du Laboratoire Fermi, sans exclure l'effet, était également compatible avec une absence de violation directe de CP. Il fallait manifestement des mesures plus précises, et de nouvelles expériences ambitieuses dans les deux laboratoires ne tardèrent pas à relever le défi. Toutes les deux mesureront maintenant l'effet avec une précision plusieurs fois supérieure à celle de leurs prédécesseurs, et les résultats de l'expérience KLOE à Frascati (Italie), qui tentera de déterminer le même effet avec une méthode entièrement différente, sont attendus eux aussi avec impatience.
L'expérience KTeV au Laboratoire Fermi a annoncé en février dernier un résultat compatible avec le résultat précédent du CERN. Comme l'annonce de vendredi au CERN confirme également le résultat initial obtenu dans ce même Laboratoire, la violation directe de CP semble maintenant incontestable3.
La violation de CP est l'une des trois conditions décrites en 1964 par le physicien russe Andrei Sakharov pour tenir compte du déséquilibre observé entre la matière et l'antimatière dans l'Univers. Sans ce déséquilibre, nous ne serions tout simplement pas là. Selon Sakharov, la violation de CP résulte d'une différence fondamentale entre la matière et l'antimatière. Elle se ramène à la notion de symétrie. C et P sont chacun des symétries qui sont conservées dans la plupart des interactions de particules. C, par exemple, représente l'échange des charges de toutes les particules dans une interaction, en d'autres termes l'échange de particules et d'antiparticules. Si l'interaction est semblable avant et après, on dit que C est conservé, et si elle ne l'est pas, que C est violé. P est appelé parité et correspond à une image dans un miroir qui inverserait l'ensemble des trois coordonnées spatiales. Auparavant, les physiciens pensaient que chacune de ces symétries était conservée dans les interactions des particules, mais en 1956 T. D. Lee et C. N. Yang démontrèrent que P pouvait être violé dans les interactions faibles. On pensait alors que la combinaison CP était conservée, mais il est apparu que ce n'était pas le cas non plus, et ensuite est venue la condition de Sakharov qui suggérait que dans certaines circonstances CP ne devrait pas être conservé.
La violation de CP a été observée pour la première fois au laboratoire américain de Brookhaven par Christensen, Cronin, Fitch et Turlay en 1964; leur expérience, qui valut le prix Nobel, montrait que des particules appelées kaons neutres à vie longue se désintégraient parfois en deux pions, un processus violant CP. Ensuite, en 1973, les physiciens japonais Kobayashi et Maskawa montrèrent comment incorporer la violation de CP dans le cadre théorique des forces électromagnétique et faible. Leurs travaux montrèrent la voie aux expériences NA31 et E731 et à leurs successeurs NA48 et KTeV.
L'expérience NA48 a été conçue pour détecter d'infimes différences dans les taux de désintégration des kaons neutres et de leurs antiparticules. La technique de l'expérience prévoit une mesure simultanée des désintégrations de deux types de kaons neutres, l'un à vie longue et l'autre à vie brève. En mesurant les deux en même temps on évite les incertitudes d'une période d'expérimentation à l'autre, et les légères insuffisances du détecteur s'annulent dans le résultat final. La pièce de résistance de l'expérience est un détecteur de mesure de l'énergie (un calorimètre) de 10 m3 utilisant le krypton liquide comme milieu actif. Cela permet aux physiciens de NA48 de sélectionner uniquement les désintégrations de kaons qui sont intéressantes pour l'analyse de la violation de CP.
1. Le CERN, Laboratoire européen pour la physique des particules, a son siège à Genève. Ses Etats membres sont les suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Suède et Suisse. La Fédération de Russie, Israël, Japon, la Turquie, les Etats-Unis, la Commission des Communautés européennes et l'UNESCO ont le statut d'observateur.2. L'expérience NA48 est l'oeuvre d'une collaboration de physiciens appartenant à des instituts et laboratoires de Cagliari, de Cambridge, du CERN, de Doubna, d'Edimbourg, de Ferrare, de Florence, de Mayence, d'Orsay, de Pérouse, de Pise, de Saclay, de Siegen, de Turin, de Vienne et de Varsovie.
3. La quantité mesurée par ces expériences est appelée'/. Le résultat de NA31 en 1993 était (23±6.5) x 10-4, celui de E731 était (7.4±5.9) x 10-4. Les nouveaux résultats sont ((18.5±7.3) x 10-4 et (28±4.1) x 10-4 respectivement pour NA48 et KTeV, ce qui donne une moyenne générale de (21.2±2.8) x 10-4.