Genève, le 8 septembre 1994. Le 29 septembre 1954, l'Organisation européenne pour la Recherche nucléaire (CERN) était créée après qu'un nombre suffisant de ratifications de la Convention d'établissement du CERN1 eurent été obtenues des Etats membres. Les objectifs du CERN étaient clairement fixés dans l'Article II de cette Convention: "L'Organisation assure la collaboration entre Etats européens pour les recherches nucléaires de caractère purement scientifique et fondamental, ainsi que pour d'autres recherches en rapport essentiel avec celles-ci. L'Organisation s'abstient de toute activité à fins militaires et les résultats de ses travaux expérimentaux et théoriques sont publiés ou de toute autre façon rendus généralement accessibles." Ainsi était établie, dès le début, la conception novatrice d'une coopération scientifique ouverte sur laquelle s'est fondé le succès du Laboratoire dans les quarante années écoulées.
Le CERN est aujourd'hui le plus grand laboratoire de recherche du monde, où plus de 50% de tous les physiciens des particules en activité dans le monde participent à plus de 120 projets de recherche différents. Le CERN attire 3000 membres du personnel titulaire, 420 jeunes scientifiques et scientifiques visiteurs bénéficiant du soutien de l'Organisation et 5000 physiciens, ingénieurs, informaticiens et scientifiques spécialisés dans différentes technologies de pointe, venus de 40 pays et de 371 institutions scientifiques. C'est en réunissant la créativité d'un si grand nombre de nationalités, d'horizons et de domaines scientifiques divers que le CERN est devenu le centre mondial de la physique des hautes énergies et qu'il a créé, en matière de collaboration scientifique, un précédent qui a été suivi par d'autres organisations de recherche fondamentale d'Europe (ESO, ESA, LEBM, ESRF).
Les membres du personnel du CERN ont été les architectes de ce succès et la célébration du 40e anniversaire a été conçue comme un remerciement à ceux dont le dévouement au cours des 40 années écoulées ont fait la réputation de l'Organisation. Pendant toute la journée du 17 septembre, le CERN deviendra une grande fête en plein air pour tous les employés de l'Organisation et leurs familles. Les festivités, dont le Directeur général du CERN Christopher Llewellyn Smith donnera le coup d'envoi, comprendront des tours en hélicoptère, en poney et dans un train miniature, des numéros de cirque et des démonstrations de physique par l'université d'Amsterdam, le tout avec un maximum de fumée, de bruit et de spectacle. Il y aura des expositions de photographies retraçant l'histoire du Laboratoire et montrant des portraits des cinq prix Nobel du CERN réalisés par Renato Missaglia. Les concerts de musique classique, de jazz, de rock, de cuivres, de cornemuses et de trompes de chasse se succéderont pendant toute la journée, et des danses folkloriques, des tours de prestidigitation et des démonstrations de techniques d'escalade et de sauvetage apporteront une animation dans les rues en général assez austères du domaine du CERN. Certains groupes extérieurs ont été invités pour les festivités, mais la majorité des activités ont été organisées par du personnel du CERN. Les scientifiques de l'Organisation ont révélé des talents cachés de magicien, de musicien, de chanteur et même de champion de pétanque.
L'aspect scientifique du CERN n'a pas été oublié: Hubert Reeves et Alvaro de Rujula animeront un débat sur "Les premiers instants de l'Univers"; il y aura des démonstrations de projets de "réalité virtuelle", des maquettes des gigantesques détecteurs qui équiperont le prochain accélérateur du CERN, le Grand collisionneur de hadrons (LHC) et une exposition sur les réussites scientifiques du Laboratoire.
L'histoire du CERN est indissociablement liée à la construction de ses grands accélérateurs: le Synchro-cyclotron (SC, 1957) et le Synchrotron à protons (PS, 1959) ont été suivis par les Anneaux de stockage à intersections (ISR, 1971) et le Supersynchrotron à protons (SPS, 1976). Le plus grand accélérateur actuel du CERN, le Grand anneau de stockage électron-positon (LEP), est entré en service en 1989. Les machines existantes sont employées comme préaccélérateurs pour les machines de la prochaine génération, de sorte que les grands investissements consentis sont mis à profit sur une longue période. Le CERN possède aujourd'hui le plus grand complexe au monde d'accélérateurs et d'anneaux de stockage interconnectés (voir Annexe Les grands moments de l'histoire du CERN). Le LHC sera la première machine au monde dans laquelle des quarks et des gluons entreront en collision dans le domaine d'énergie des TeV et il incarne la prochaine étape de la recherche en physique des hautes énergies. De même que les premiers accélérateurs du CERN ont été les catalyseurs de la collaboration européenne, de même le LHC créera un précédent pour une collaboration à l'échelle mondiale dans la recherche physique.
³La recherche scientifique ne peut s'épanouir que dans un climat de liberté - liberté de douter, liberté de s'informer et liberté de découvrir. Voilà les conditions dans lesquelles ce nouveau laboratoire a été créé": c'est ce qu'écrivait en 1954 Sir Ben Lockspeiser, premier Président du Conseil du CERN et c'est dans ce climat que le CERN a prospéré pendant 40 ans et qu'il espère maintenant poursuivre avec le même succès ses activités futures.
Les grands moments de l'histoire du CERN
1949
Au cours de la Conférence de la Culture européenne qui se tient à Lausanne le physicien français et lauréat du Prix Nobel Louis de Broglie propose la création d'un laboratoire européen pour la science.
1950
A la cinquième Conférence générale de l'UNESCO tenue à Florence, le physicien américain et lauréat du Prix Nobel Isidore Rabi propose une résolution, qui est adoptée à l'unanimité, autorisant le Directeur général de l'UNESCO "à appuyer et à encourager la formation et l'organisation de centres et laboratoires régionaux dans le but d'augmenter et d'améliorer la collaboration internationale des scientifiques ...".
1952
Après deux conférences de l'UNESCO sur ce sujet, onze gouvernements européens signent un accord créant un organe provisoire, le "Conseil européen pour la Recherche nucléaire" (CERN). Pendant une réunion du Conseil du CERN à Amsterdam un terrain près de Genève est choisi pour le futur laboratoire.
1954
L'Organisation européenne pour la recherche nucléaire est créée officiellement le 29 septembre après ratification de la Convention d'établissement du CERN par un nombre suffisant d'Etats membres, marquant ainsi la dissolution du CERN "provisoire". Le sigle CERN a cependant toujours été conservé depuis lors.
1955
Douze Etats membres fondateurs ratifient la Convention : la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l'Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse, la Yougoslavie. Cette dernière se retire en 1961 pour des raisons financières. L'Autriche et l'Espagne deviendront membres du CERN respectivement en 1959 et 1961 - l'Espagne le quittera en 1969 et redeviendra membre en 1983. La Finlande et la Pologne deviennent membres en 1991, la Hongrie en 1992 et les Républiques tchèque et slovaque en 1993, ce qui porte à 19 le nombre des Etats membres.
1957
Le synchro-cyclotron de 600 MeV entre en service. L'un des premiers succès de l'expérimentation est l'observation, attendue depuis longtemps, de la désintégration d'un pion directement en un électron et un neutrino.
1959
Le synchrotron à protons (PS) de 28 GeV est mis en exploitation. Il sera pendant quelques temps l'accélérateur fournissant l'énergie la plus élevée au monde. Premières expériences avec des faisceaux de neutrinos. Ce domaine de recherche deviendra par la suite une spécialité du programme de physique du CERN.
1963
Premières photographies d'interactions de neutrinos jamais prises au monde dans une chambre à bulles. La physique du neutrino profite grandement de l'éjection rapide de protons accélérés par le synchrotron, obtenue elle aussi pour la première fois au monde cette même année (en mai).
1965
Un accord avec les autorités françaises est signé concernant l'extension du domaine du CERN sur le territoire français (en septembre). En décembre le Conseil approuve le programme de construction des anneaux de stockage à intersections (ISR) sur le nouveau terrain.
1967
Le CERN met en service l'une des meilleures installations du monde pour l'étude des noyaux à très courte vie, le séparateur d'isotopes en ligne (ISOLDE). Un accord est conclu entre le CERN, la France et l'Allemagne pour la construction d'une chambre à bulles à hydrogène de 3,7 mètres, qui prendra le nom de BEBC (grande chambres à bulles européenne) comportant le plus grand aimant supraconducteur au monde. Pendant la durée de son exploitation, de 1973 à 1984, plus de 6 millions de photos ont été prises.
1968
Invention des chambres proportionnelles multifils et des chambres à migration. Elle constitue l'un des progrès les plus importants dans le domaine des détecteurs électroniques de particules. George Charpak obtient le Prix Nobel de Physique en 1992 pour son invention de la chambre proportionnelle multifils.
1971
Autorisation de construire un deuxième laboratoire à proximité du domaine existant du CERN pour la réalisation d'un supersynchrotron à protons (SPS) prévu pour une énergie initiale de 300 GeV. Administrativement indépendants au début, ces deux laboratoires seront réunis en janvier 1976.
1972
Construction d'un synchrotron injecteur de 800 MeV à quatre anneaux pour augmenter l'énergie d'injection dans le PS. Avec ce synchrotron injecteur et le nouveau linac, qui entrera en service en 1978, le PS atteindra finalement une intensité plus de 1000 fois supérieure à la valeur nominale.
1973
Premières découvertes importantes résultant des expériences aux ISR :
a)les protons augmentent de volume en fonction de l'accroissement de leur énergie ;
b)les protons en collision peuvent produire des schémas de diffraction ressemblant quelque peu à ceux de la lumière contournant un disque (ce qui montre la nature ondulatoire du proton).
C'est avec la chambre à bulles de fabrication française Gargamelle placé;e dans un faisceau de neutrinos au synchrotron à protons (PS) qu'est faite l'une des plus grandes découvertes de physique du CERN: on observe que les neutrinos peuvent interagir avec une autre particule sans se transformer en muons. Ce comportement est connu sous le nom d'"interaction à courant neutre" et sa découverte ouvrira la voie à ce qu'on appelle maintenant la "nouvelle physique". Il a de grandes conséquences pour les théories concernant les forces fondamentales de la physique. En particulier, il vient fortement corroborer la théorie qui s'efforce d'unifier nos connaissances sur la force faible (responsable de phénomènes tels que la radioactivité) et celles sur la force électromagnétique bien connue.
1976
Entrée en service du supersynchrotron à protons (SPS). Comme avec les ISR, la construction de la machine est achevée avant la date prévue et dans les limites du budget autorisé. Les performances de l'accélérateur s'améliorent rapidement, de sorte que l'intensité nominale est dépassée et qu'à la fin de 1978 l'énergie maximale sera portée à 500 GeV.
1978
Des expériences effectuées au CERN montrent que la qualité et l'intensité des faisceaux peuvent être améliorées grâce à la "technique de refroidissement stochastique", permettant ainsi d'accélérer et de stocker des faisceaux intenses d'antiprotons.
1981
Transformation du SPS en un collisionneur proton-antiproton (SPp) et construction de deux zones d'expérimentation (UA-1 et UA-2) dans lesquelles peuvent être saisies les données résultant des collisions. Depuis lors, l'exploitation du SPS est partagée entre ce mode collisionneur et la physique à cible fixe. Les premières collisions proton-antiproton à une énergie de 2 x 270 GeV sont observées en juillet 1981, quelques mois après la mise en service du nouvel anneau accumulateur d'antiprotons (AA), dans lequel la technique du refroidissement stochastique est appliquée pour produire un faisceau d'antiprotons condensé. Les Etats membres autorisent la construction d'un grand collisionneur électron-positon (LEP) pour une énergie d'exploitation initiale de 50 GeV par faisceau.
1983
Découverte des bosons W (janvier) et du boson Z (mai), les vecteurs de la force nucléaire faible, par les équipes UA-1 et UA-2, confirmant la théorie des interactions électrofaibles et unifiant les forces faible et électromagnétique. En septembre, cérémonie du premier coup de pioche pour le LEP en présence des Présidents français et suisse (M. François Mitterrand et M. Pierre Aubert). Le LEP, avec ses 27 kilomètres de circonférence, est le plus grand instrument scientifique jamais construit.
1984
Attribution du Prix Nobel de Physique à Carlo Rubbia et Simon van der Meer pour leurs travaux sur les collisions proton-antiproton qui ont culminé avec la découverte des bosons W et du boson Z en 1983.
1989
Le LEP est mis en service en août. En octobre, deux mois seulement après les premières collisions dans le LEP, le CERN fait une découverte très importante. Après avoir mesuré la ligne de résonance Z0 avec une précision sans précédent, les physiciens ont pu affirmer que les «briques» de la matière s'organisent en trois familles de particules seulement. Le 13 novembre, le LEP est officiellement inauguré par les ministres chargés de la recherche et les chefs d'Etat des pays membres du CERN, et d'autres pays participant au programme expérimental du CERN.
1991
En décembre, les délégués au Conseil du CERN conviennent à l'unanimité que le grand collisionneur de hadrons (LHC) est la machine adéquate pour réaliser des progrès considérables dans la recherche en physique des hautes énergies, ainsi que pour assurer l'avenir du CERN.
1992
Georges Charpak, un physicien du CERN, reçoit le Prix Nobel de Physique pour l'invention d'un nouveau détecteur de particules, la chambre proportionnelle multifils, qui a permis aux physiciens de faire des progrès considérables dans leur "chasse" aux particules et qui est maintenant utilisée dans de nombreuses applications médicales.
1994
Les années à partir de 1989 sont marquées par le succès des expériences du LEP dont le résultat le plus remarquable est la mesure précise des paramètres de la résonance de Z. Au cours de la période 1989-1993, les quatre détecteurs du LEP, ALEPH, DELPHI, L3 ET OPAL, ont reconstruit plus de 10 millions de désintégrations.
1. Le CERN, Laboratoire européen pour la physique des particules, a son siège à Genève. Ses Etats membres sont les suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Suède et Suisse. La Fédération de Russie, Israël, la Turquie, la Yougoslavie (statut suspendu après l'embargo de l'ONU, en juin 1992), la Commission des Communautés européennes et l'UNESCO ont le statut d'observateur.