Pierre Lazeyras, qui a joué un rôle de premier plan dans l'expérience ALEPH, ainsi que dans le développement des faisceaux de neutrinos et des détecteurs au silicium, au cours d'une carrière de plus de 35 ans, nous a quittés le 4 avril à l'âge de 88 ans.
Né à Limoges (France) en juillet 1931, Pierre fut diplômé de l'École supérieure de physique et chimie industrielle (ESPCI), à Paris, en 1954. Après avoir travaillé au sein du groupe d'Anatole Abragam au CEA de Saclay, il rejoint le CERN en tant que titulaire en octobre 1961. Pierre est alors l'un des premiers collaborateurs au sein de la division Chambre à traces (TC), qui construisit la chambre à bulles de 2 m et la grande chambre à bulles européenne (BEBC). En parallèle, il dirige l'équipe qui développe l'un des premiers aimants de courbure supraconducteurs pour le « faisceau s3 » de la BEBC.
Durant les premières années du CERN, il n'était pas toujours évident de déterminer qui, des spécialistes des accélérateurs ou des équipes d'appui aux expériences, assumerait la construction d'un dispositif de faisceau de particules. Au sein de la division TC, le groupe de Pierre conçoit certains des faisceaux destinés aux chambres à bulles auprès du PS ; par la suite, les faisceaux de neutrinos du SPS sont également supervisés par des équipes de la division TC. À partir de 1972, Pierre dirige le groupe Faisceaux de neutrinos du SPS de la division TC, et notamment la construction des trompes, le blindage à muons en fer de 185 m de long et le système de surveillance du faisceau, qui reposait sur des détecteurs de particules à diodes au silicium. Après quelques incidents initiaux, les faisceaux de neutrinos du SPS seront exploités pendant près de 20 ans sans problèmes majeurs. Les détecteurs au silicium s'avèrent plus précis que les premières chambres à ions remplies de gaz, mais l'étalonnage reste un problème. La technique de comptage des muons semble plus adaptée que celle de l'intégration des charges, et marque le début de l'ère des détecteurs à micro-puces au silicium. Pierre encourage la réalisation de travaux de développement en microélectronique pour cette nouvelle technique et ses circuits de lecture intégrés. Ces avancées arrivent à point nommé pour l'expérience UA2 auprès du SPS et pour de plus larges applications au sein des expériences LEP, notamment l'expérience ALEPH.
Pierre joue un rôle important dans l'établissement et la réussite de l'expérience ALEPH, et est unanimement apprécié. La collaboration bénéficie de son expérience des grands projets ainsi que de sa bonne connaissance du CERN et du réseau de relations qu'il entretient au sein du Laboratoire. De la conception de l'expérience, en 1982, à la phase du LEP2, en 1996, Pierre restera le coordinateur technique d'ALEPH. Pour la plupart d'entre nous qui venions d'expériences plus petites qu'ALEPH, l'idée d'un coordinateur technique était tout à fait nouvelle, mais, très rapidement, nous avons apprécié le rôle de Pierre. De 1983 à 1989, chaque groupe de la collaboration construisit une partie différente du détecteur. Pierre s'assurait que nos ambitions et notre estimation des difficultés et des contraintes de planification étaient réalistes, et, surtout, il savait dans quelle mesure chaque sous-détecteur pouvait être intégré dans l'expérience globale. Pierre venait à chacune des réunions consacrées aux sous-détecteurs ; si les diverses parties d'ALEPH ont pu être assemblées sans problèmes majeurs, c'était principalement grâce à lui. Pierre était toujours disponible pour des conseils, même si, du fait de sa nature réservée et prudente, il ne tentait pas de tout diriger ou surveiller. En revanche, quand on lui demandait de l'aide, il n'hésitait pas à apporter tout son soutien, avec une grande générosité.
En tant que responsable de la sécurité générale au sein de l'expérience, Pierre contrôle avec rigueur tous les aspects en la matière, si bien qu’ALEPH n’enregistre aucun incident majeur durant ses 11 années d'exploitation. Il est en outre chargé du budget général de l'expérience et il ne fait aucun doute qu’il contribua à la construction de celle-ci dans les limites du budget fixé. Après la mise en service de l'expérience, en 1989, son rôle s'assouplit mais il continue à surveiller le budget consacré aux améliorations et à la maintenance. Il joue par ailleurs un rôle essentiel à un moment crucial de l'expérience, lorsque celle-ci rencontre un problème avec le cryostat de l'aimant supraconducteur. Pierre avait toujours insisté sur le fait qu'un dispositif d’aimant supraconducteur et de cryostat aussi énorme était par essence délicat, et s'était opposé à l'idée d'un réchauffement de l'aimant durant les arrêts annuels, invoquant le stress mécanique qui serait ainsi généré. Et il eut entièrement raison. En avril 1993, certains signes mettent en évidence une fuite de vide, qui disparait mystérieusement, avant de se reproduire en janvier 1994. Sous la supervision de Pierre, la fuite est localisée près de l'extrémité de l'aimant. Le cryostat subira une « opération chirurgicale » au moyen d'une fraiseuse suspendue par une grue. Cette manœuvre se révèle une prouesse d'ingéniosité et d'imagination et, au soulagement général, une réussite totale.
Pierre participe également à la conception des grands supraconducteurs stabilisés destinés aux aimants des expériences LHC. Il est donc tout naturellement désigné pour être membre du Groupe consultatif sur les aimants relevant du LHCC, où il officiera jusqu'à sa retraite. Sa grande sagesse y est particulièrement appréciée.
Pierre était un membre actif de l'Association du personnel du CERN. Lorsqu'il prend sa retraite en 1996, il rejoint le Groupement des anciens, puis, en octobre 1997, devient membre du Comité de surveillance de l'assurance-maladie du CERN, qui prendra plus tard le nom de CHIS Board. Pendant 14 ans, jusqu'en décembre 2011, le Comité bénéficie de ses conseils éclairés et apprécie ses opinions, toujours mesurées et pleines de sagesse.
Pierre n'était pas seulement un homme brillant, sachant judicieusement tirer parti de son expérience, c'était aussi une personne chaleureuse sur laquelle on pouvait toujours compter. Il vous disait toujours franchement ce qu’il en était, puis suggérait une manière de traiter les problèmes. Vous auriez pu entendre Pierre vous dire : « Demandez-moi d'approuver ou de rejeter vos idées, mais ne me demandez pas quel travail j'ai pour vous ». Nous garderons le souvenir d'un très cher ami et collègue.
Ses amis et collègues du CERN