L’intrication quantique est une caractéristique fascinante de la physique quantique – la théorie de l'infiniment petit. Lorsque deux particules sont dans un état d'intrication quantique, l'état de l'une détermine celui de l'autre, quelle que soit la distance qui les sépare. Ce phénomène troublant, qui n'a pas de pendant en physique classique, a été observé dans une grande variété de systèmes et a trouvé plusieurs applications importantes, telles que la cryptographie quantique et l'informatique quantique. En 2022, le prix Nobel de physique a été attribué à Alain Aspect, John F. Clauser et Anton Zeilinger, pour leurs expériences pionnières sur des photons intriqués. Ces expériences ont confirmé les prédictions sur la manifestation de l'intrication faites par John Bell, théoricien du CERN aujourd'hui disparu, et ont ouvert la voie à la science de l'information quantique.
L'intrication restait très peu étudiée aux énergies élevées atteintes dans les collisionneurs de particules tels que le Grand collisionneur de hadrons (LHC). Dans un article publié aujourd'hui dans la revue Nature, la collaboration ATLAS décrit comment elle a réussi à observer l'intrication quantique pour la première fois entre des particules fondamentales appelées quarks top et à des énergies inédites. D'abord rapporté par ATLAS en septembre 2023, puis confirmé par une première, ainsi qu'une seconde observation de la collaboration CMS, ce résultat a ouvert une nouvelle perspective sur le monde complexe de la physique quantique.
« Bien que la physique des particules soit profondément ancrée dans la physique quantique, l'observation de l'intrication quantique dans un nouveau système de particules et à une énergie beaucoup plus élevée que ce qui était possible auparavant est remarquable, explique Andreas Hoecker, porte-parole d'ATLAS. Elle ouvre la voie à de nouvelles recherches sur ce phénomène fascinant, et à une multitude d'études à mesure que nos échantillons de données continuent de croître. »
Les équipes d'ATLAS et de CMS ont observé l’intrication quantique entre un quark top et son antiparticule. Ces observations s’appuient sur une méthode récemment proposée consistant à utiliser des paires de quarks top produites au LHC comme nouveau système pour étudier l'intrication quantique.
Le quark top est la particule fondamentale la plus lourde connue. Il se désintègre normalement en d'autres particules avant d'avoir le temps de se combiner avec d'autres quarks, transférant son spin et d'autres caractéristiques quantiques aux particules issues de sa désintégration. C’est en observant les produits de ces désintégrations que les physiciens peuvent déduire l’orientation du spin du quark top.
Pour observer l'intrication entre les quarks top, les collaborations ATLAS et CMS ont sélectionné des paires de quarks top dans les données issues des collisions proton-proton qui ont eu lieu à une énergie de 13 téraélectronvolts pendant la deuxième période d’exploitation du LHC, entre 2015 et 2018. Ils ont en particulier recherché des paires dans lesquelles les deux quarks sont produits simultanément avec une faible impulsion l'un par rapport à l'autre. Dans ce cas, les spins des deux quarks devraient être fortement intriqués.
L'existence du phénomène d'intrication et le degré d'intrication des spins peuvent être déduits de l'angle entre les directions dans lesquelles sont émis les produits électriquement chargés issus de la désintégration des deux quarks. En mesurant ces séparations angulaires et en corrigeant les effets expérimentaux qui pourraient altérer les valeurs mesurées, les équipes d'ATLAS et de CMS ont chacune observé une intrication de spin entre les quarks top, avec une signification statistique supérieure à cinq écarts-types.
Dans sa deuxième étude, la collaboration CMS a également recherché des paires de quarks top dans lesquelles les deux quarks sont produits simultanément avec une impulsion élevée l'un par rapport à l'autre. Dans cette configuration, pour une grande fraction des paires de quarks top, les positions et les temps relatifs des deux désintégrations de quarks top devraient, d’après la théorie, exclure l'échange classique d'informations par des particules se déplaçant à une vitesse atteignant au maximum celle de la lumière ; CMS a observé l’intrication de spin entre les quarks top également dans ce cas.
« Avec des mesures de l'intrication et d'autres concepts quantiques dans un nouveau système de particules et dans une gamme d'énergie dépassant ce qui était accessible jusqu'ici, nous pouvons tester de différentes manières le Modèle standard de la physique des particules et rechercher des signes d'une éventuelle nouvelle physique au-delà de ce modèle », explique Patricia McBride, porte-parole de CMS.
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