L’année 2015 sera l’Année internationale de la lumière, célébrée par l’UNESCO, et aussi une année très importante pour un projet cher à mon cœur. Le thème choisi par l’UNESCO cette année est extrêmement large, ce qui nous donne l’occasion de mettre à l’honneur des sujets allant du développement de l’éclairage par LED, honoré l’année dernière par le prix Nobel de physique, à des projets du CERN qui vont améliorer l’intensité des faisceaux du LHC, notre accélérateur vedette, permettant ainsi à cette machine de mieux nous éclairer sur le fonctionnement de l’Univers dans lequel nous vivons.
Mais le projet dont je veux parler ici est SESAME, Centre international de rayonnement synchrotron pour les sciences expérimentales et appliquées au Moyen-Orient, l’une des infrastructures scientifiques les plus importantes en cours de construction actuellement dans le monde. SESAME, avec sa source de lumière synchrotron, sera une installation à accélérateur de classe mondiale et couvrant un spectre très large, allant de la cristallographie des protéines pour comprendre la structure des virus jusqu’à la physique du solide, qui permet d’améliorer nos ordinateurs.
L’histoire commence il y a 60 ans, non pas au Moyen-Orient mais en Europe ; un groupe de scientifiques et de diplomates visionnaires émirent l’idée d'un laboratoire européen, non seulement comme centre d'excellence scientifique, mais aussi comme catalyseur de la paix dans un continent ravagé par la guerre. Ce fut à la Conférence européenne de la culture de 1949, à Lausanne, que cette idée vit le jour. En 1951, le projet était adopté par l’UNESCO, qui présida à la naissance du jeune laboratoire et supervisa l’élaboration de la Convention du CERN en 1953. Le 29 septembre 1954, une majorité des 12 membres fondateurs du CERN ayant ratifié la Convention, le CERN prenait officiellement naissance, sous l’égide de l’UNESCO, en tant qu’organisation scientifique intergouvernementale à part entière ; le laboratoire serait établi à Genève, ville internationale qui était déjà le siège de nombreuses organisations internationales.
Les pionniers du CERN avaient confié au Laboratoire deux missions ambitieuses : créer un centre européen d’excellence scientifique et un lieu où les nations européennes travailleraient ensemble harmonieusement après une période de conflit, un lieu où des scientifiques du monde entier pourraient se rassembler pour repousser les limites de la connaissance. L’année dernière, nous avons célébré notre 60e anniversaire. Ces deux missions ont été largement menées à bien, et nous demeurons fidèles à ces idéaux. Le CERN est à la pointe de son domaine de recherche, et des personnes d'une centaine de nationalités différentes s'y côtoient tous les jours. Cela montre ce que l'on peut réaliser quand les individus mettent de côté leurs différences pour poursuivre un but commun.
Aujourd’hui, il semble que l’histoire soit sur le point de se répéter. Depuis de nombreuses années, des scientifiques et des diplomates travaillent à l’établissement d’un laboratoire régional pour le Moyen-Orient : SESAME. Tout a commencé en 1995 lors d’une réunion historique organisée par Sergio Fubini, physicien théoricien au CERN, qui s’est tenue sous une tente de bédouin sur la péninsule du Sinaï en Égypte. C’est là que des représentants de pays arabes et d’Israël ont pour la première fois pris position officiellement pour une coopération scientifique au Moyen-Orient. Deux décennies plus tard, leur rêve prend forme avec SESAME, qui est en cours de construction près d’Amman, en Jordanie. Comme dans le cas du CERN, le projet a été rapidement adopté par l'UNESCO, et SESAME est devenu une organisation internationale à part entière après la ratification de sa Convention par un nombre suffisant de ses membres fondateurs. Aujourd’hui, les membres de SESAME sont l'Autorité palestinienne, le Bahreïn, Chypre, l’Égypte, l’Iran, Israël, la Jordanie, le Pakistan et la Turquie. La construction est bien avancée et les travaux de recherche devraient commencer en 2016. À SESAME, vous pouvez rencontrer aussi bien des Iraniens que des Israéliens, des Chypriotes que des Turcs ou des Palestiniens, tous unis par un rêve commun : l'excellence scientifique et la paix entre voisins.
SESAME est cher à mon cœur, non seulement à cause des parallèles historiques avec le CERN et de l’espoir que représente ce projet pour l’excellence scientifique et pour la paix, mais aussi parce que le CERN y est associé de façon très concrète. Avec le soutien financier de la Commission européenne, nous supervisons la construction du principal anneau accélérateur de SESAME, qui est l’équipement essentiel du laboratoire. Tous les éléments seront livrés à SESAME au cours de l'année, afin de permettre le début des opérations de mise en service en 2016, par une équipe de scientifiques de différents pays de la région réunis dans ce projet visant à faire progresser la connaissance. On ne pourrait pas rêver mieux pour célébrer le pouvoir de la lumière…