Lors de leur venue récente au CERN, Alain Berset et Emmanuel Macron ont visité le Laboratoire en compagnie de la Directrice générale. Emmanuel Macron s’est montré véritablement intéressé par les origines de l’Univers, aussi les explications ont-elles duré plus longtemps que prévu. La visite des deux présidents s’est poursuivie dans le tunnel du LHC et, de là, jusqu’à la caverne d’ATLAS. Difficile de ne pas être impressionnés, le LHC étant ce qu’il est, sans parler d’ATLAS, toujours aussi spectaculaire. Ce qu’ils n’ont toutefois pas pu voir, ce sont les prouesses technologiques absolument inimaginables sur lesquelles reposent ces formidables machines.
Et en effet, ce que nous faisons au CERN est tout à fait extraordinaire. Quand on regarde le complexe d’accélérateurs, de la ligne chopper du Linac 4 au système RF du PS, en passant par la synchronisation des cycles, la production de faisceaux d’ions radioactifs, les systèmes de vide présents depuis ELENA jusqu’au LHC, la cible n_TOF, le refroidissement stochastique des antiprotons, les convertisseurs de puissance, les aimants (de 1959 à 2023), l’instrumentation de faisceau, le système de rétroaction transversale, on ne peut que s’émerveiller que tout fonctionne si bien.
Il est important d’avoir conscience de ce petit miracle, au moment de revenir sur cette nouvelle année qui vient s’écouler dans la vie d'un complexe d'accélérateurs et d’installations unique au monde ; une année fructueuse dans l'ensemble, bien que parfois quelque peu mouvementée en ce qui concerne le LHC.
Malgré toute la complexité des opérations nécessaires à la production des multiples configurations de faisceau requises pour les machines situées en aval, le Linac 4 a pu maintenir une disponibilité de 98 %, ce qui est remarquable, avec un fonctionnement stable et une performance optimale des faisceaux. Le Booster du Synchrotron à protons a joué son rôle, fournissant à ISOLDE, HIE-ISOLDE et MEDICIS, ainsi qu’au PS, pour les machines situées en aval, des faisceaux répondant à diverses spécifications très contraignantes. Une bonne partie des protons du CERN sont envoyés à ISOLDE : 11,3e19 protons cette année, contre 4,5e19 environ pour le PS. Comme l’explique Erwin Siesling, coordinateur technique adjoint à ISOLDE : « Nous avons connu à nouveau une année très fructueuse à ISOLDE, malgré les problèmes et difficultés d’usage : on a en fin de compte d'excellents résultats de physique et des utilisateurs très contents ! »
Le PS a fourni des faisceaux à n_TOF et à l’AD-ELENA, ainsi qu’aux expériences de la zone Est et installations d’irradiation, notamment CLOUD, CHARM et IRRAD. L’AD, qui a repris du service le 30 juillet après la réparation d'un quadripôle défectueux, a compensé le temps perdu par une période d’exploitation prolongée jusqu’au 12 novembre. Optimisé, l’AD a permis d'obtenir une intensité en antiprotons record pour ELENA et les expériences.
Tout au long de l'année 2023, le SPS a très bien fonctionné, sans défaillance majeure ni temps d'arrêt prolongé, tout en réussissant à atteindre un remarquable taux de transfert dans les expériences de la zone Nord d'environ 95 %, avec une qualité de faisceaux bien optimisée.
Les injecteurs ont continué de fournir des faisceaux à leurs utilisateurs habituels, et, par ailleurs, les travaux se sont poursuivis en vue de produire les faisceaux de haute intensité et de haute brillance requis par le HL-LHC (objectif principal de l’amélioration des injecteurs du LHC (LIU) pendant le deuxième long arrêt). Les équipes responsables des injecteurs ont fait du bon travail : les faisceaux destinés au LHC issus du PSB, du PS et du SPS répondaient aux paramètres LIU, et dépassaient même d’une petite marge l’intensité et la brillance du faisceau requis par le HL-LHC.
Durant la première partie de l’année, la performance du LHC en termes de luminosité, aussi bien de crête qu’intégrée, a été exceptionnelle. Sur le plan opérationnel, les équipes ont fait preuve d’une remarquable flexibilité et d’une grande maîtrise au niveau des opérations et des systèmes. Cependant, même si la disponibilité a été excellente dans l’ensemble, il y a eu quelques défaillances, notamment, à la mi-juillet, une fuite d’hélium dans le vide d’isolation du module du triplet interne, à gauche du point 8. L’incident était grave, mais les équipes sont intervenues avec une réactivité extraordinaire ; la fuite a été réparée, et tout a été remis en ordre grâce à des efforts concertés. La capacité d'adaptation de l'équipe chargée de la cryogénie a permis d'éviter de devoir réchauffer le secteur adjacent.
La fuite, au niveau de la soudure d’un soufflet, a été causée par une transition résistive (« quench ») provoquée par une perturbation électrique. Une analyse de la disponibilité sera réalisée lors de la réunion de Chamonix, en 2024, le but étant de se préparer à d'autres non-conformités possibles datant de la construction de la machine. La remise en état ayant été réalisée rapidement, il a été possible de procéder à des exploitations spéciales, ainsi qu’à la première exploitation avec ions dans le LHC depuis cinq ans.
Les campagnes avec ions plomb, menées en fin d’année, sont toujours intéressantes. La préparation des sources d’ions (Linac 3 et LEIR) commence des mois avant l’envoi des faisceaux au PS et aux machines en aval.
Les ions sont principalement destinés à la zone Nord et au LHC. Cependant, au cours des deux dernières semaines de la période d’exploitation de quatre semaines, le PS a fourni des ions plomb à la zone Est, où l'installation CHIMERA irradie des dispositifs électroniques au moyen d’ions lourds à haute énergie afin d'étudier les effets du rayonnement cosmique sur l’électronique utilisée dans les accélérateurs et les expériences du CERN, ainsi que pour les missions spatiales et l'avionique.
Au SPS, la technique de « superposition par glissement » (« momentum slip-stacking »), qui consiste à injecter deux lots de quatre paquets d’ions plomb espacés de 100 nanosecondes afin de produire un lot unique de huit paquets d’ions plomb espacés de 50 nanosecondes, a été utilisée pour la première fois en mode opérationnel, un bon exemple de « gymnastique RF » et de contrôle RF de faible niveau.
En 2023, au LHC, les collisions entre noyaux de plomb se faisaient à une énergie accrue, soit 5,36 TeV par paire de nucléons (contre 5,02 TeV précédemment). Un nombre record de paquets et des intensités élevées, grâce aux machines en aval, rendaient l’exploitation plus délicate. Une fois de plus, grâce à des efforts concertés et à leur capacité d'adaptation, les équipes ont réussi à surmonter les obstacles, à produire des performances record et à préparer le terrain pour le reste de la troisième période d’exploitation.
Au moment de faire le bilan de l'année écoulée, il faut avoir en tête le travail phénoménal qui est effectué pour l’exploitation du complexe d'accélérateurs. Tout cela n’est pas simple, et il est remarquable que l’ensemble fonctionne si bien. Emmanuel Macron n’a pas vu tout ce qui est fait en coulisses, mais il a certainement été sensible à l’esprit qui anime notre travail.