Mais où sont les neiges d'antan ? L'édition 2024 de l'atelier de Chamonix, qui s'est tenue du 29 janvier au 1er février, s'est inscrite dans une longue tradition d'échanges ouverts et collaboratifs dans les communautés de spécialistes des accélérateurs et de physiciens du CERN. Cette année, le complexe d'injecteurs figurait plus explicitement qu'à l'accoutumée parmi les thèmes de discussion, ce qui était une reconnaissance du rôle crucial de ce complexe pour les futurs efforts de recherche. Les discussions de Chamonix se sont concentrées sur trois domaines principaux : l'optimisation des campagnes à venir de la troisième période d'exploitation ; le LHC à haute luminosité (HL-LHC), les préparatifs pour le troisième long arrêt et pour la quatrième période d'exploitation ; et enfin, les perspectives d'avenir et le projet de Futur collisionneur circulaire (FCC).
Analysant la performance du complexe d'accélérateurs du CERN, les intervenants ont salué les avancées remarquables réalisées, ont évoqué les limites propres au LHC et aux injecteurs et ont discuté des améliorations visant à optimiser la performance lors des périodes d'exploitation à venir. Il est difficile de rendre justice à l'immense travail effectué par toutes les équipes chargées des systèmes, de l'exploitation et des infrastructures techniques, qui rendent possible le fonctionnement du complexe. La disponibilité de la machine est apparue comme une question cruciale, qu’il s’agisse de l'exploitation optimale du potentiel des installations actuelles ou du succès futur du HL-LHC. Il a été souligné que les systèmes de repérage des défaillances, les activités de maintenance spécifiques et des améliorations ciblées des infrastructure sur l'ensemble du complexe avaient grandement contribué aux bons résultats en matière de disponibilité.
À l'heure où le projet HL-LHC passe en mode de production en série, les défis techniques liés aux aimants, aux systèmes d'alimentation froids et aux cavités-crabe font l'objet d'intenses activités. Si l'on se projette au-delà du troisième long arrêt (LS3), on peut déjà prévoir des mesures ciblées concernant des limitations éventuelles, avec, par exemple, des mesures d'atténuation des nuages d'électrons qui devraient être déployées pendant le LS3. Le passage à l'ère de la haute luminosité suppose un programme colossal de travaux, qui demandera une préparation méticuleuse et une grande coordination sur l'ensemble du complexe au cours de la troisième période d'exploitation : déploiement du HL-LHC, des travaux de consolidation sur de nombreux éléments et d'autres améliorations, telles que celles prévues pour la caverne ECN3 dans la zone Nord du CERN.
La physique réalisée dans les installations du CERN est tout à fait remarquable par sa diversité et par sa profondeur, et l'atelier de Chamonix a confirmé à nouveau les attentes élevées des expérimentateurs de tous horizons. Les capacités uniques d'ISOLDE, de n_TOF, d'AD-ELENA et des zones Est et Nord ont été reconnues. La zone Nord, par exemple, fournit des faisceaux de protons, d'hadrons, d'électrons et d'ions pour la R&D sur les détecteurs, pour la plateforme neutrino du CERN et pour les installations d'irradiation, et compte plus de 2 000 utilisateurs. Les perspectives envisagées pour ces installations dans les décennies à venir sont diverses, innovantes et convaincantes du point de vue de la physique. Le potentiel lié à l'exploitation à long terme, en tirant pleinement parti des capacités du LHC et d'autres machines, est considérable, mais cela exige une poursuite des activités d’appui et de développement.
À plus long terme, le CERN est en train d'étudier la construction éventuelle du FCC, au moyen d'une étude de faisabilité spécifique, dont le rapport d'examen à mi-parcours vient d'être publié : un résumé de ce rapport a été présenté à Chamonix, et sera présenté à la communauté du CERN le 13 février. L'initiative s'accompagne de R&D sur des technologies clés des accélérateurs. L'intérêt pour la physique du projet FCC-ee a été expliqué devant un auditoire composé essentiellement de non-spécialistes de la physique des particules, la conclusion étant que le FCC est le seul projet de collisionneur qui couvre l'ensemble des domaines essentiels de la discipline, à savoir la physique électrofaible, la chromodynamique quantique, le Higgs et la recherche de phénomènes au-delà du Modèle standard – et ce à un niveau susceptible de bousculer les paradigmes.
La durabilité était un autre thème central de l’atelier de Chamonix. Le souci de la protection de l'environnement dans la construction et le fonctionnement des futures installations constitue une priorité essentielle, et des analyses complètes de cycle de vie seront effectuées pour toute les options afin d'essayer de contribuer à un futur à bas carbone.
Une époque intéressante, et nous avons du pain sur la planche. Pour citer les propos de Herwig Schopper, directeur général du CERN, en 1983 : « Il est clair que, pour quelque temps encore, il y aura des choses intéressantes à étudier, et il est peu probable que les spécialistes des accélérateurs se retrouvent au chômage ! »