Ian Shipsey, physicien en physique expérimentale des particules, apprécié pour ses qualités de chef autant que pour ses qualités humaines, est décédé de façon soudaine, le 7 octobre, à Oxford.
Ian a fait ses études à l’Université Queen Mary de Londres et à l’Université d’Edimbourg, où il a obtenu son doctorat en 1986 avec une thèse sur l’expérience NA31 du CERN. Il s’est installé aux États-Unis, d’abord à Syracuse en tant que post-doctorant, avant de rejoindre le corps professoral de l’Université de Purdue, où, en 2007, il a été élu professeur émérite à la chaire Julian Schwinger de physique. En 2013, il a été nommé à la chaire Henry Moseley de physique expérimentale à l’Université d’Oxford.
Ian a été une figure centrale dans le succès de l’expérience CLEO à Cornell, dont le détecteur a été pendant longtemps le plus important du monde en physique des saveurs. Il a mené de nombreuses analyses, en particulier dans le domaine des désintégrations semi-leptoniques, grâce auxquelles il a mesuré quatre éléments de la matrice CKM différents, et a supervisé la construction du détecteur de vertex au silicium pour la phase CLEO III de l’expérience. Co-porte-parole entre 2001 et 2004, il est l’un des responsables à avoir vu l’opportunité de transformer le détecteur et l’accélérateur CESR en installation destinée à explorer avec précision la physique au seuil du charme. Le programme CLEO-c qui en a résulté a permis de nombreuses mesures importantes dans le système charmé ainsi que des validations expérimentales majeures des prédictions de la QCD sur réseau.
Au sein de la collaboration CMS, Ian a joué un rôle moteur dans la construction du détecteur à pixels à petits angles, mettant à profit le laboratoire silicium qu’il avait fondé à Purdue. Ses contributions aux analyses de physique de CMS ont été tout aussi considérables. Elles comprennent l’observation de l’atténuation de la production d’upsilon dans les collisions d’ions lourds (un indice de la production de plasma quarks-gluons) et la découverte, rapportée dans une étude publiée conjointement avec la collaboration LHCb dans la revue Nature, de la désintégration ultra-rare Bs→μ+μ-. En tant que président du Comité de la collaboration CMS (2013-2014), son avis était très respecté.
Après avoir rejoint l’Université d’Oxford et, en 2015, la collaboration ATLAS, Ian est devenu chef d’équipe d’ATLAS pour Oxford et a mis en place des salles blanches à la pointe du progrès, utilisées pour la construction de modules de bouchons à pixels destinés au futur trajectographe interne (ITk). Avec ses étudiants, il a contribué aux mesures de la masse et de la largeur du boson de Higgs, et à la recherche de sa désintégration rare en deux muons. Ian Shipsey a également été à l’origine de la participation du Royaume-Uni au télescope LSST (aujourd’hui Observatoire Vera C. Rubin), pour lequel Oxford apporte une expertise éprouvée en matière de caméras CCD.
À l’issue de son mandat de responsable de la division de physique des particules, qu’il a rempli avec ardeur, il a été élu chef du département de physique de l’Université d’Oxford en 2018, puis réélu en 2023. Parmi ses nombreuses initiatives couronnées de succès, il faut citer le rôle de premier plan qu’il a joué dans l’instauration du programme Quantum Technologies for Fundamental Physics (Technologies quantiques pour la physique fondamentale) de l’agence britannique de financement de l’innovation (UKRI), qui vise à favoriser la mise au point d’applications liées aux technologies quantiques dans différents domaines de physique. Avec l’appui de ce programme, il a dirigé le développement d’interféromètres à atomes novateurs pour les recherches sur la matière noire légère et la détection d’ondes gravitationnelles.
L’apport d’Ian Shipsey a été essentiel dans l’établissement de feuilles de routes pour la R&D sur les détecteurs, aussi bien aux États-Unis que, via l’ECFA, en Europe. Il a été l’un des coordinateurs du comité responsable de la feuille de route concernant la R&D à l’ECFA, qu’il a porté avec énergie, et a co-présidé les travaux des États-Unis visant à définir les besoins fondamentaux de la recherche dans ce domaine. À la tête du comité Instrumentation, innovation et développement de l’ICFA, il a encouragé la R&D sur l’instrumentation en physique des particules et a œuvré en faveur d’une reconnaissance de l’excellence dans cette discipline.
Ian a reçu de nombreuses distinctions prestigieuses. En particulier, il s’est vu décerner en 2019 la médaille et le prix James Chadwick de l’Institut de physique (IoP), et a été élu en 2022 membre de la Royal Society. Il a été membre de nombreux groupes, comités de collaboration et comités consultatifs et décisionnels chargés d’élaborer des stratégies pour la science à l’échelle nationale et internationale.
Sa carrière est d’autant plus remarquable que Ian a perdu l’ouïe en 1989. Un implant cochléaire lui a permis de retrouver une partie de ses capacités auditives. Ian a donné des conférences marquantes sur le sujet, dans lesquelles il expliquait le fonctionnement de ce dispositif et décrivait l’impact qu’il avait dans sa vie.
Ian était un physicien remarquable, ainsi qu’une personne exceptionnelle. Il laisse en héritage un vaste corpus de résultats scientifiques décisifs, mais aussi l’empreinte qu’il a laissée sur toutes les personnes qui l’ont rencontré. Sa compagnie était aussi agréable pour les jeunes diplômés que pour les directeurs de laboratoire. En lui parlant, tout le monde avait le cœur plus léger. Il devait son succès à un remarquable mélange d’optimisme et d’énergie débordante. Quand il avait déterminé la meilleure façon de procéder, il ne se laissait jamais dissuader par des avis pessimistes ou trop prudents, inquiets des difficultés à venir. Ses collègues et de nombreux jeunes diplômés continueront pendant de longues années à cueillir les fruits des projets qu’il a lancés. Le modèle qu’il a incarné en tant que physicien, et les souvenirs qu’il laisse comme ami, ne sont pas près de s’éteindre.
Nombre de ses succès scientifiques ont été obtenus en collaboration avec son épouse, Daniela Bortoletto, qu’il laisse derrière lui avec leur fille, Francesca.
Ses amis et collègues
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Cet hommage sera également publié dans le CERN Courier.
Lisez cet entretien avec Ian Shipsey (en anglais) paru dans le CERN Courier en 2020.