View in

English

Des jets de trous noirs... terrestres ?

La collaboration Fireball parvient à reproduire sur l’installation HiRadMat du CERN les jets de matière et d’antimatière émis par certains trous noirs et étoiles à neutrons

|

Shows an image of an active galaxy

Les jets de plasma émis par le trou noir au centre de la galaxie active Centaurus A. (Crédit : ESO/WFI (Optique) ; MPIfR/ESO/APEX/A.Weiss et al. (Millimétrique) ; NASA/CXC/CfA/R.Kraft et al. (Rayons X))

Si vous plongez au cœur d’une galaxie active, vous y trouverez un trou noir supermassif occupé à engloutir toute la matière qui l’entoure. Dans un cas sur dix, ce trou noir éjectera des jets de matière à une vitesse proche de celle de la lumière. Ces jets relativistes issus de trous noirs contiendraient, entre autres, un plasma constitué de paires d’électrons et de positons (les positons étant les équivalents des électrons dans l’antimatière).

Ce plasma relativiste électron-positon relativiste aurait une influence sur la dynamique et les échanges énergétiques du trou noir et de son environnement. Les dessous de ce mécanisme restent mal connus du fait de la difficulté d’effectuer des observations astronomiques sur le plasma comme de le simuler à l’aide de programmes informatiques.

Dans un récent article paru dans Nature Communications, Charles Arrowsmith et d’autres scientifiques de la collaboration Fireball détaillent comment l’installation HiRadMat du CERN leur a permis de produire un faisceau relativiste de plasma électro-positon, ouvrant la voie à une étude en laboratoire de ce phénomène physique.

Les faisceaux relativistes de paires électron-positon peuvent être créés de différentes manières et sur différents types d’installations, y compris des lasers de haute puissance. Cependant, aucune des méthodes actuelles ne permet de générer suffisamment de paires électron-positon pour maintenir un plasma, c’est-à-dire un état de la matière dans lequel les particules se déplacent quasiment librement. Or, sans ce plasma, il est impossible d’étudier comment ces analogues des jets issus de trous noirs se déplacent dans les conditions interstellaires reproduites en laboratoire. Ces études sont cruciales pour expliquer les observations réalisées par les télescopes terrestres et spatiaux.

Charles Arrowsmith et son équipe ont trouvé un moyen de mener cette expérience sur l’installation HiRadMat du CERN. Leur a consisté à extraire en une seule nanoseconde trois cent milliards de protons du Super Proton Synchrotron et à les projeter sur une cible en graphite et en tantale, donnant lieu à une cascade d’interactions entre particules pour générer, in fine, de très nombreuses paires électron-positon.

En mesurant avec divers instruments le faisceau électron-positon relativiste obtenu, et en comparant le résultat avec des simulations informatiques complexes, Charles Arrowsmith et son équipe ont montré que le nombre de paires électron-positon dans le faisceau (plus de dix mille milliards) était dix à cent fois plus élevé que ce qu’on obtenait avec d’autres techniques. Ainsi, pour la première fois, on pourrait maintenir les particules à l’état de plasma.

« Les plasmas électron-positon sont censés jouer un rôle fondamental dans les jets astrophysiques, mais les simulations informatiques de ces plasmas et de ces jets n’ont jamais été testées en laboratoire, explique Charles Arrowsmith. Les expériences en laboratoire sont indispensables pour valider les simulations, car certaines simplifications des calculs, d’apparence raisonnables, peuvent altérer considérablement les conclusions. »

Ce résultat est le premier d’une série d’expériences que la collaboration Fireball est en train de mener auprès de l’installation HiRadMat.

« Ces expériences ont pour objectif premier de reproduire en laboratoire la microphysique des phénomènes astrophysiques tels que les jets émis par les trous noirs et les étoiles à neutrons, explique Gianluca Gregori, coauteur de l’article et chercheur de l’équipe du projet. Notre connaissance de ces phénomènes provient quasi-exclusivement d’observations astronomiques et de simulations informatiques ; seulement, les télescopes ne peuvent pas vraiment examiner la physique à l’échelle microscopique et les simulations reposent sur des approximations. Les expériences en laboratoire comme celle-ci permettent de lier les deux méthodes. »

L’équipe de Charles Arrowsmith poursuivra son étude des plasmas auprès d’HiRadMat en tentant de propager ces puissants jets à travers un plasma d’un mètre de long et d’observer comment l’interaction ainsi créée génère un champ magnétique responsable de l’accélération des particules dans les jets, phénomène qui reste l’une des plus grandes énigmes de l’astrophysique des hautes énergies.

« Les expériences Fireball sont un des derniers ajours à la gamme d’expériences d’HiRadMat, indique Alice Goillot, responsable des opérations de l’installation. Nous avons hâte de continuer à reproduire ces phénomènes rares grâce aux propriétés uniques du complexe d’accélérateurs du CERN. »

HiRadMat
Photographie de l’installation HiRadMat (Crédit : CERN) 

Ce projet a reçu un financement du programme-cadre de l'Union européenne pour la recherche et l'innovation Horizon Europe au titre de l’accord de subvention n°101057511 (EURO-LABS).