Le Grand collisionneur de hadrons (LHC) est semblable à une cuisine ultramoderne, imaginée pour cuisiner les recettes les plus rares et les plus succulentes de l’Univers, telles que le plasma de quarks et de gluons, un état de la matière qui prévalait juste après le Big Bang. Bien que le LHC fasse principalement entrer en collision des protons, une fois par an, des collisions ont lieu entre ions lourds, tels que des noyaux de plomb, un ingrédient essentiel pour préparer cette soupe primordiale.
Le 6 novembre, à 11 h 13, une nouvelle campagne d’exploitation avec ions lourds a débuté au LHC, faisant entrer en collision des ions plomb, qui contiennent 208 nucléons (82 protons et 126 neutrons), à l’énergie de 5,36 TeV par paire de nucléons.
La campagne avec ions lourds durera près de trois semaines, permettant ainsi aux scientifiques de recueillir suffisamment de données pour plusieurs années d’analyse, afin de tenter de comprendre les premiers moments de l’Univers.
Les spécialistes de la physique des accélérateurs du Centre de contrôle du CERN se préparent également à augmenter la performance en termes de luminosité de la machine par rapport à l’année dernière.
« Nous avons pour but de produire au moins 30 % de collisions supplémentaires par jour par rapport à 2023 », explique Roderik Bruce, physicien spécialiste des accélérateurs et coordinateur du LHC pour le programme d’ions lourds au CERN.
Pour cette campagne, les équipes ont consolidé des concepts innovants mis en place l’année dernière, tels que la collimation avec des cristaux et un nouveau système d’injection de faisceaux, avec un espacement plus court entre les paquets ; on peut ainsi concentrer davantage d’ions plomb dans un faisceau pour que les collisions génèrent davantage de données de physique.
L’expérience ALICE du CERN est consacrée à la physique des ions lourds auprès du LHC. Son détecteur, spécialement construit pour les mesures avec des ions lourds, a été amélioré lors du dernier long arrêt afin de pouvoir accumuler et stocker bien plus de collisions qu’auparavant. Cette année, l’objectif est de doubler le volume total de données recueillies depuis le début de la troisième période d’exploitation du LHC.
« Nous avons hâte de recueillir les grands échantillons de données que cette campagne promet de nous livrer. Nous devrions pouvoir ainsi effectuer une première mesure directe de la température du plasma quarks-gluons et étudier ses autres propriétés avec une précision sans précédent », rapporte Marco van Leeuwen, porte-parole de l’expérience ALICE.
Les autres expériences du LHC ont également optimisé leurs détecteurs et leur capacité d’acquisition de données afin de tirer le meilleur parti de cette campagne avec ions lourds.
La vitesse d’acquisition de données du détecteur CMS a été portée de 20 à 30 gigaoctets par seconde, ce qui signifie qu’il n’a plus à filtrer les données lors de la campagne d’exploitation avec ions lourds.
De même, le détecteur ATLAS est à présent entièrement adapté aux nouveaux systèmes d’acquisition de données, ce qui améliore grandement son système de déclenchement pour les jets de particules et les leptons. Ses stratégies de déclenchement ont en outre été affinées pour les collisions ultrapériphériques, qui se produisent lorsque deux ions lourds passent très proche l’un de l’autre, sans entrer en collision de manière frontale. Des études de physique peuvent ainsi être réalisées dans des champs électromagnétiques d’une extrême intensité.
Le détecteur LHCb enregistrera les données des collisions plomb-plomb avec une luminosité instantanée 70 % supérieure à celle de l’année dernière, ce qui lui permet de recueillir un grand volume de données et d’étudier des processus rares, tels que la production d’hadrons de beauté, avec une grande précision. Autre nouveauté, cette année, LHCb sera capable d’injecter du néon et de l’argon gazeux dans son système spécial SMOG2 afin de recueillir des données pour les collisions plomb-néon et plomb-argon, parallèlement à celles recueillies pour les collisions plomb-plomb.
L’étude du plasma quarks-gluons est un moyen de savoir comment la matière s’est formée dans l’Univers primordial, seulement un centième de milliardième de seconde après le Big Bang. La campagne d’exploitation avec ions lourds est une occasion unique au LHC pour étudier la matière dans ses conditions les plus extrêmes.